Le mardi 14 novembre eu un rapport statistique annuel « État de la pauvreté en France 2023 ». Constats et analyses sur la précarité issus de l’observation sur l’ensemble du territoire national de plus de 49 000 situations (sur les 1 027 500 personnes accueillies par l’association en 2022). Cette année, l’association pointe une aggravation de la pauvreté, les premières victimes en étant les femmes, et surtout les femmes avec enfants.
Oui, la pauvreté s’aggrave en France. Et elle touche en premier les femmes. C’est en substance ce que montre le rapport « État de la pauvreté 2023 ». Sans surprise, dans un contexte de forte inflation sur l’alimentation et l’énergie, nos statistiques montrent une nette aggravation de la pauvreté en 2022. 95% des personnes que nous rencontrons vivent sous le seuil de pauvreté (à 60% du revenu médian). Les trois quarts vivent même en situation d’extrême pauvreté (sous le seuil de 40% du revenu médian), contre 65% en 2017. Et tout porte à croire que cette dégradation se poursuit en 2023, comme en atteste la forte hausse du nombre de personnes faisant appel à l’aide alimentaire des associations. En 1989, les femmes représentaient 51 % des adultes. En 2022, cette part est de 57,5 % – et même de 60 % des adultes de nationalité française. Les premières victimes de la pauvreté sont donc les femmes, et surtout les femmes avec enfants. Voilà l’autre enseignement majeur du rapport « État de la pauvreté 2023 ».
« L’ état de santé d’une société se mesure au sort qu’elle réserve aux plus pauvres de ses membres. Mais peut-être la situation des femmes qui vivent dans la pauvreté est-elle plus révélatrice encore : voilà ce que suggère notre « État de la pauvreté 2023 ». La parole collective de ces femmes livre un premier enseignement fort : notre société a de la chance. La chance de pouvoir s’appuyer sur des femmes qui, malgré l’adversité, se battent au quotidien, avec courage, s’interdisant de baisser les bras. Elles ne le font pas tant pour elles-mêmes que pour les autres. « Quand je prends du temps pour moi, j’ai l’impression d’être égoïste », témoigne l’une d’elles, démentant ainsi l’idée que l’être humain n’agirait que dans son intérêt propre. Dans une quête de dignité indissociable de celle de leurs proches, ces femmes témoignent d’un dévouement total, jusqu’à sacrifier leurs besoins vitaux : « Même si je ne mange pas, l’essentiel, ce sont mes enfants. »
Ce sont les femmes qui portent majoritairement la charge mentale de tous les jours, le tout avec un budget impossible à boucler, qui transforme le quotidien en source d’angoisse permanente.
Nos chiffres sont révélateurs d’une inégalité entre hommes et femmes qui ne faiblit pas. Si les femmes sont devenues majoritaires à pousser la porte de notre association (57,5% en 2022, contre 51% en 1989), ce n’est pas un hasard : elles sont plus exposées à la pauvreté. Celles qui travaillent sont moins bien payées, plus souvent à temps partiel subi, et leurs carrières hachées se traduisent par de faibles retraites. D’autres voudraient bien travailler, mais leur situation administrative les en empêche. Si les femmes font davantage appel au Secours Catholique, c’est aussi parce que, neuf fois sur dix, ce sont elles qui assument la charge des enfants quand les couples se séparent. Elles encore qui portent majoritairement la charge mentale de tous les jours, des courses, des conduites, des repas, des papiers, des soins… le tout avec un budget impossible à boucler, qui transforme le quotidien en source d’angoisse permanente. « Ça prend de l’énergie de toujours aider les autres, tout le temps », rapporte une femme de Sauzé-Vaussais (79). Contre toute évidence, 62% des femmes que nous rencontrons sont considérées comme « inactives » si l’on s’en tient aux catégories statistiques.
Le problème, c’est que la dichotomie actifs/inactifs structure les représentations, mais aussi les politiques publiques. Aux premiers, on devrait la reconnaissance, la rémunération décente, la protection. Aux seconds d’âge actif, l’obligation de se justifier en permanence. C’est ainsi que des femmes aux vies brisées par la maladie, l’exil ou les violences, des femmes nuit et jour au chevet d’enfants, d’anciens, de personnes en situation de handicap, ou encore surinvesties dans le quartier ou les associations, sont maintenues dans l’extrême pauvreté. C’est le cas de 81% des femmes « inactives » rencontrées. Outre que tout miser sur l’emploi est illusoire pour vaincre la pauvreté, cela amène notre société à maltraiter celles qui, hors de l’emploi, prennent soin des liens vitaux, des liens sociaux. Avec l’inflation, la pauvreté frappe plus durement encore. Et si, face à cette épreuve qui nous concerne tous, nous décidions collectivement de nous tenir aux côtés des personnes en galère, et avec elles, de tourner enfin le dos à la pauvreté ? ».